Chanter la vie dans tous ses états : Les pleureuses
- Delphine CAM
- 30 juin
- 3 min de lecture
Le chant est défini comme une production vocale associée à la musicalité. Mais au fil de ma pratique qui est aussi une recherche, j’aime de plus en plus considérer qu’il n’est pas qu’une jolie composition de notes, de rythmes et de mots agréable à l’oreille.
La musicalité et l’harmonie sont des possibilités de la voix que j’aime explorer et qui me font du bien. J’aime exprimer la beauté que je ressens par le chant et la partager sous cette forme.
Pourtant notre vie humaine nous amène à vivre beaucoup d’autres états, d’autres émotions, c’est toute une palette de ressentis que la voix peut exprimer, sublimer. Au fur et à mesure que je me rapproche de mon authenticité à chaque instant, ma voix se rapproche de moi. Rire, douleur, beauté, laideur, peur, amour...Je suis tout ça et ma voix veut le chanter !
Peut-on appeler « chant » un pleur ou un cri ? Ou comment le deviennent-il ? Aujourd’hui dans nos cultures urbanisées, le chant est la plupart du temps associé au divertissement. On cherche une expression agréable à l’oreille, des fréquences plaisantes pour le corps et qui ne nous remuent pas trop à l’intérieur. Mais de nombreuses cultures traditionnelles l’ont utilisé à des fins plus vitales, notamment pour des rites funéraire et les processus de deuil grâce à l’art des « lamentations».
Les pleureuses, connues aussi sous le nom de "lamentatrices" ("mourners" en anglais), sont des femmes engagées pour pleurer et exprimer publiquement le chagrin lors des funérailles. Elles incarnent et externalisent le chagrin collectif et permettent à la communauté de partager et d'exprimer la douleur de la perte. Leur présence aide à canaliser le deuil de manière structurée et rituelle, facilitant ainsi le processus de guérison. Avec leur pleurs, leurs histoires et chants traditionnels, elles jouent un rôle crucial pour aider les familles à exprimer leur douleur et à célébrer la vie de l'être cher perdu, allégeant ainsi leur fardeau émotionnel lié à la séparation.
Cette tradition, bien que moins courante aujourd'hui, trouve ses racines dans de nombreuses cultures partout à travers le monde, notamment dans la Grèce et l’Egypte antiques, en Afrique, en Asie, et en Europe.
En Europe de l’Est, les lamentatrices faisaient partie intégrante des rituels funéraires mais aussi de rituels nuptiaux, exprimant la douleur de la séparation de la jeune mariée de sa famille natale.
Les lamentations relevées par les chercheurs sont très variées, allant de simples exclamations élémentaires sous formes d’interjections, à des systèmes poétiques complexes avec métaphorisations et symboliques particulières, comme dans les lamentations Russes.
Dans certaines cultures, les pleureuses jouent également un rôle spirituel. En Afrique de l'Ouest, par exemple, elles sont souvent perçues comme des intermédiaires entre le monde des vivants et celui des morts. Leur lamentation n'est pas seulement un cri de douleur, mais aussi une prière et un appel aux ancêtres pour qu'ils accueillent le défunt.
Les pleureuses dans ces rôles ancrés à la vie sociale existent encore en Chine, en Inde, en Afrique
Sur Youtube, je n’ai pu trouver que les pleureuses en Afrique, notamment au Gabon chez les Punu. Je trouve dommage que cela soit présenté comme une « commercialisation » du pleur et une manière de gagner de l’argent pour ces femmes qui accompagnent le deuil. Un regard assez ironique et méprisant sur une tradition aussi ancienne, depuis une culture urbaine dont le chant a presque disparu de la vie sociale et est quasiment réduit au divertissement.
Personnellement, pleurer de façon sonore et le vivre aussi corporellement a été très libérateur. Ce n’est certainement pas pour me victimiser et rester « collée » dans une émotion de tristesse, mais au contraire pour la vivre pleinement et laisser la vie couler en moi de façon expressive. C’est comme une grosse averse qui lave de la tête aux pieds pour pouvoir rester ouverte à ce qui vient ensuite, parfois plus vite qu’on ne l’aurait imaginé...le soleil éventuellement. Plusieurs de mes chansons sont nées pendant et après de telles douches, l’émotion vécue pleinement, et pourquoi pas vocalement, ouvre la porte à la créativité !
Delphine Cam, le 30/06/2025
Sources à propos des pleureuses:
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